Extrait du carnet de souvenirs de guerre de Paul BIDAULT du 21ème Régiment Colonial
Récit de son travail et de sa vie dans plusieurs Arbeit Kommando de Hedersleben (dans une ferme puis dans des boulangeries).

7 mai - Depuis 4 jours nouveau changement dans mon existence de prisonnier: me voici devenu cultivateur. ça s'est fait brusquement il y a 5 jours. Comme il manquait un homme sur une liste de partants, on a demandé un volontaire. Je me suis présenté, et en 8 minutes la chose a été décidée le lendemain. J'étais ici à Hedersleben. Le travail n'est pas trop dur jusqu'à présent nous ne faisons que de sarcler les blés. Seulement nous sommes beaucoup mieux nourris qu'au camp et c'est une chose appréciable. La nourriture est même meilleure qu'à la mine et je suis au grand air. Nous sommes une douzaine dans une ferme. Il y en a qui y sont depuis l'an dernier les autres depuis deux mois, et il ne se plaigne pas. Mon genou quoique sensible ne me fait pas trop souffrir, aussi je crois que je resterai quelque temps ici. Là, nous avons moins la sensation d'être prisonniers car les fils barbelés du camp ont disparu de notre horizon. Et puis ça change les idées. J'ai moins l'impression de tourner en rond dans un cercle sans fin. 28 mai - Peu de chose nouvelles depuis quelques jours. Je suis maintenant habitué à mon nouveau métier, et ça ne va pas trop mal, à part mon genou qui me gêne toujours, mais ici comme au camp, il n'y a rien pour se soigner. ça ne m'empêche pas de faire mon travail, mais c'est quand même embêtant. Du côté des boches toujours quelques petites avancées. Après l'affaire des mandats voici que le 15 et le 16 ils ont retenu le pain des colis, en représailles disent-ils. Heureusement qu'ici j'en ai moins besoin qu'au camp car, j'en ai 4 livres de retenu. De la maison je ne reçois guère de bonnes nouvelles. Après Paul, voici maintenant que Lucienne est malade. Ce n'est vraiment pas une bonne passe. Je m'ennuie beaucoup en pensant que je suis ici inutile pendant que je fais si grand défaut à la maison. Et toujours cette question: Quand donc tout cela finira. 5 juillet - Aujourd'hui comme il pleut nous ne pouvons travailler dehors et comme le patron n'a pas assez de travail au dedans la moitié du personnel a travaillé l'avant midi pendant que l'autre se reposait et ainsi l'après-midi. Je suis de ceux qui ont travaillé le matin et je me repose maitenant, et j'en profite pour ajouter ces quelques notes, car je n'ai guère le temps autrement, il est vrai qu'il n'y a rien de bien marquant pour nous autres, et rien des évènements extérieurs ne vient troubler notre vie. Cependant depuis le mois dernier, les nouvelles de la guerre sont bonnes pour nous. Les Russes ont repris l'offensive le 4 juin en Galicie, et ils ont bien avancés. Les Italiens eux aussi ont repris le terrain qu'ils avaient perdu fin mai. En ce moment les Français et les Anglais eux aussi attaquent, et c'est avec anxiété que l'on attend les nouvelles toujours. Comme je voudrais que ça soit enfin la grande victoire! Mais combien doivent être terrible les combats maintenant. 28 novembre - Le temps passe tout de même sans beaucoup apporter de changement à la situation. Voici l'hiver qu'il va falloir encore passer en captivité et maintenant je commence à me demander si ce sera le dernier. C'est long, beaucoup trop long! pour tous assurément. Cependant j'ai la consolation que maintenant je vais être tranquille un bon moment si ce n'est jusqu'à la fin de la guerre. Depuis quatre jours je suis rentré dans une boulangerie d'Hedersleben. C'est une veuve qui la tient et elle tient en même temps l'épicerie. Le travail n'est pas dur, une et deux fournées, aussi je vais avoir du temps de reste. J'ai ici une bonne nourriture, et la patronne a l'air d'être une bonne personne aussi je suis beaucoup mieux qu'à la ferme. Là du moins je n'ai pas de sentinelle qui ronchonne derrière moi. Je suis redevenu ouvrier. Cela vaut encore mieux que la mine ou la culture. Et comme il faut travailler, j'aime beaucoup mieux travailler de mon métier. Voilà quand même bientôt deux ans 1/2 que j'ai quitté la maison. Lucienne va maintenant à l'école. Paul a plus de deux ans. Que de changement tout de même. Deux années qui auraient été si belles passées en famille, dans la maison que nous étions si contents d'avoir à notre compte, tous deux Elise. Et pendant ce temps là où je serai si utile là-bas, ce sont Elise et Maman qui ont le mal de la faire marcher. Enfin pourvu queça dure jusqu'à la fin, nous avons encore de belles années pour travailler et somme toute je crois que nous ne serons pas les plus mal partagés, puisque nous avons la certitude que nous nous retrouverons tous quand la tourmente aura passée. C'est cette certitude qui me donne le courage et la patience de supporter tous les ennuis de ma captivité. 29-11- Ma nouvelle patronne prend soin de moi. Elle m'a donné un lit et un oreiller de plume ainsi qu'un édredon, aussi maintenant j'ai un bon lit. Il y avait longtemps que je n'avais dormis dans la plume, ça me change, depuis si longtemps que je n'avais que de la paille, ou une paillasse. La nourriture ici est meilleure qu'à la ferme, et je mange à la même table que ma patronne et sa fille! Dommage que je ne parle pas allemand, comme je ne travaille guère, je m'ennuierai moins si je pouvais tenir une conversation. 7 décembre - Je suis bien habitué a mon nouveau travail, et ça ne vas pas trop mal. Seulement comme je n'en ai pas beaucoup la journée me semble longue toujours seul. Mais je m'y ferai. Je suis bien nourri, c'est à considérer ici. Je vais peut-être me mettre à apprendre l'allemand, ça me fera passer le temps. Mais je commence à être bien vieux pour ça, et j'ai peut être la tête un peu dure maintenant. Ce qui me plait c'est que maintenant je n'ai plus de sentinelle sur mon dos. Oh! ces sentinelles! quels sals individus, pour un bon, on en trouve au moins dix de mauvais, et dame avec eux on est plus malheureux au travail qu'avec les civils. Aussi je trouve un grand changement ici, où je suis seul, et où personne ne me dit jamais rien. 25 janvier - J'ai commencé à apprendre l'allemand, mais je crois bien que j'aurai du mal à me le fourrer dans la tête. Cependant ce n'est pas le temps qui me manque lorsque tous les jours mon travail est fini vers 11 heures, et je n'ai plus rien à faire jusqu'au soir, mais je n'ai guère de goût pour apprendre. Je suis trop vieux, et je pense souvent à tout autre chose qu'à ce que je veux apprendre. A la longue je fais tout de même quelques progrès, et je comprends déjà beaucoup mieux ce que ma patronne me raconte. Mais tout cela n'empêche pas de trouver les journées longues. En ce moment il y a de la neige et il ne fait pas chaud dehors. Le thermomètre est déjà descendu au dessous de 20°C. Avec cette neige tout parait triste, et d'être toujours seul, je trouve le temps d'une longueur désespérante. Combien j'aimerai mieux travailler beaucoup plus fort et être à la maison. Hélàs! Quand reviendra-t-il ce temps là? 3 février 1917 - Deux ans aujourd'hui que je suis prisonnier. Il me semble qu'il y a une éternité, mais aussi par moment les jours m'ont semblé bien bien long. Deux ans, et bien malin serait celui qui pourrait dire quand ça sera fini. J'ai tout de même espoir que cette année verra la fin, mais peut-on savoir? En ce moment le temps est au froid et à la neige, aussi les pauvres soldats dans les tranchées ne doivent pas être heureux. Il y a deux ans il faisait un temps magnifique, et malgré le bombardement intense, je ne figurai pas que ce serait le jour pour moi du départ pour l'Allemagne. Mais malgré toutes les misères que j'ai enduré depuis j'aime encore mieux qu'il en soit ainsi que d'être resté sur le terrain de Massiges. Au moins j'ai toujours l'espoir de rentrer à la maison, et c'est ce qui me contient. 21 mars - Triste temps pour le premier jour de printemps. Depuis ce matin il neige, et il ne fait pas chaud. Les beaux jours se font attendre par ici. Depuis quelques jours nous avons de bonnes nouvelles. Les Français et les Anglais ont enfin réussi à percer le front, et c'est avec anxiété qu'on attend les nouvelles tout les jours. Pourvu que maintenant, l'offensive puisse se continuer, et puisse amener la fin de cette maudite guerre. D'un autre côté les journaux allemands ont annoncé la révolution en Russie. Le Tzar Nicolas a été remplacé par son père. Que va-t-il résulter de cela? Egalement ces temps derniers les Anglais ont pris Bagdad, en Mésopotamie, ce qui représente de ce côté une avance considérable. Les journaux allemands n'en disent pas grand chose. En ce moment depuis le 15 le sixieme emprunt de guerre allemand est ouvert pour une somme de 15 milliards. Tous ces évènements, ne vont pas lui faire du bien. Les journaux allemands parlent aussi beaucoup de la guerre sous-marine sans restriction inaugurée le 13 février. Tous les jours ils annoncent des quantités de navires coulés et comptent ainsi affaiblir l'Angleterre et la France et l'Italie. Y réussiront-ils? En attendant l'Amérique a rompu les relations diplomatiques avec l'Allemagne, et a armé ses navires de commerce. L'espoir pour nous est plus grand que jamais. 5 avril - Depuis le 3 l'Amérique a déclaré l'état de guerre avec l'Allemagne. Quelle influence cela aura-t-il sur la guerre, peut-être que nous ne serons pas longtemps sans le savoir. 17 avril - Je ne sais pourquoi aujourd'hui je m'ennuie, la journée me semble désespérement longue. Les nouvelles de la maison viennent maintenant très lentement. La dernière lettre que j'ai reçu a mis 3 semaines, et elle était du 26 mars. Maman était malade. Pourvu que ça ne soit rien de grave. C'est quand même bien embêtant. Depuis longtemps, il y a toujours quelqu'un de malade, après l'un c'est l'autre. 18 avril - Aujourd'hui il a neigé presque toute la journée, aussi il ne fait pas chaud. Je n'avais encore jamais vu de la neige a une époque si tardive. Je devais aller planter des pommes de terre pour ma patronne, mais avec ce temps, c'est remis à plus tard. 26 mai - J'ai touché cette semaine 2m59 qui me revenait sur une mandat que j'avais touché au mois de mai l'année dernière. Comment se fait-il que les boches se soit décidés a nous rembourser? Je constate le fait simplement. J'ai eu hier une mauvaise nouvelle. Elise m'écrit que Pasdeloup va probablement cesser de travailler. C'est assez embêtant, et je me demande comment elle va faire. Elle va probablement être obligée de fermer. S'être donné tant de mal pour en arriver là, vraiment ce n'est pas de chance. Après la guerre, la clientèle sera peut-être bien difficile à faire revenir. Et dire que sans cette maudite guerre nous devrions être si heureux. 23 juin - C'en est fait depuis les premiers jours du mois la maison est fermée. Elise m'écrit qu'elle compte retirer l'argent qu'on y a mis. Heureusement, car ainsi, on pourra toujours faire quelque chose après la guerre, car je vois d'après les lettres d'Elise qu'elle ne compte pas rouvrir notre boutique. D'ailleurs le bail est bientôt fini, et peut être pourrons nous trouver une maison meilleure. Maintenant Maman et Elise vont pouvoir se reposer, cela leur fera du bien, à Maman surtout qui n'était pas habituée d'être surmenée comme cela, et qui pourra ainsi mieux se soigner. Papa va retrouver ainsi toute sa famille, et sa maison maintenant ne lui semblera pas trop grande. Pour lui aussi, ce sera un soulagement. 12 juillet - Depuis quelques jours nous sommes avertis par les Boches que nous ne recevront plus nos colis, ni les biscuits. Il fallait que ça en arrive là. Depuis longtemps les colis arrivaient dans un état déplorable. Les conserves étaient retenues et la plus grande partie du contenu des colis disparaissaient avant qu'on les reçoivent. Qu'y a-t-il eu au juste, nous n'en savons rien. Le gouvernement français a sans doute pris des mesures de représailles, auxquelles le gouvernement allemand repond par cette mesure. Pour moi personnellement je n'en souffrirai pas beaucoup, mais ceux qui travaillent dans la culture ou dans les mines vont être très malheureux. Espérons que cela ne durera pas longtemps, surtout pour les biscuits, car beaucoup se passeront aisément des colis, mais des biscuits ce sera dur, surtout en travaillant. 25 juillet - Nouvel avancée. Je dois retourner au camp dans quelques jours. Pour économiser le charbon, l'autorité allemande fait fermer les fours d'une partie des boulangers. Ici sur six il y en a trois, et naturellement ce sont celles où il y a des Allemands pour travailler qui continuent à cuire. Les autres continueront à vendre le pain, mais ne le feront plus. Et comme résultat avec un autre prisonnier qui travaillait dans une autre boulangerie depuis le mois de mai, nous devons retourner au camp. ça m'embête, car je n'étais pas mal ici. Je n'étais pas trop mal nourri, et je n'avais pas beaucoup de travail. J'aurai bien voulu que ça dure plus longtemps, car du camp je retournerai sûrement travailler ailleurs et j'aurais bien du mal à tomber aussi bien. Aussi je souhaite bien vivement que l'échange de prisonniers, dont Elise me parle dans ses lettres se passe. J'en profiterai peut être. Mais ce serait trop beau et j'ai des doutes que ça se réalise. C'est quand même un rayon d'espoir. Elise m'écrit maintenant qu'elle est définitivement installée à Bellegarde avec les enfants. Le repos lui fait du bien, ainsi qu'à Maman, qui va déjà mieux. Ils sont ainsi tous beaucoup plus tranquilles et ont bien moins de tracas. Les enfants, eux se sont bien habitués. Ils vont maintenant tous deux à l'école. Quel changement quand même! et quand donc reprendrons-nous notre bonne vie d'autrefois. Trois ans bientôt, qui auraient si vite passés en famille et qui m'ont semblés une éternité. 30 7bre - Depuis le 29 juillet, je suis dans la culture, mais je suis resté à Hedersleben je suis chez un petit cultivateur qui est malade. Je n'ai pas beaucoup de mal et la maison n'est pas mauvaise. J'ai deux vaches à conduire, ça m'a changé, mais ça va bien, car je m'y suis vite habitué. Je dois y rester jusqu'à la fin novembre et ensuite je retournerai probablement au camp, à moins que d'ici là, il n'y ait encore quelque changement. 12 novembre - Encore un changement. Depuis le 1er je suis redevenu boulanger toujours à Hedersleben. Mais j'ai davantage de travail que chez mon ancienne patronne, car je fais son pain en même temps que celui de mon patron, ce qui me fait deux et trois fournées à faire tous les jours. Somme toute, ce n'est pas encore bien dur, et j'ai encore des bons moments de libre. Mes patrons sont déjà vieux 65 ans je crois. La patronne est malade, et le patron trouvant que ça lui faisait trop de travail seul, surtout maintenant qu'ils ont recommencé à mettre des pommes de terre dans le pain. Aussi je pense y rester pour l'hiver ce qui vaudra mieux que de retourner au camp, puisque maintenant, on ne parle plus du tout d'échanger les prisonniers. Pendant ce temps-là, les affaires vont mal pour nous. Après les Russes, voici que les Italiens ont essuyé une grande défaite. D'après les journaux, les communiqués allemands annoncent jusqu'à ce jour 25 000 prisonniers et 2 300 canons, prix aux Italiens, et une avance considérable en territoire Italien. Tout cela donne des idées noires, et je me demande maintenant avec anxiété comment cela finira. Ce qui m'étonne, c'est qu'en France on essaye vainement de percer le front tandis que les Allemands bondissent à chaque tentative. Il y a vraiment de quoi désespérer. 27 Xbre - Encore une année qui se termine, et je suis toujours en captivité. Voilà le troisième Noël passé en Allemagne, et le quatrième depuis le début de la guerre. En temps normal ici, c'est grande fête, mais maintenant c'est bien calme. Malgré cela depuis trois semaines j'ai du travail car j'ai fait cuire quantité de gâteaux, que les gens font eux-même. Mais je n'ai pas travaillé ni le 25 ni le 26. Pendant ces deux jours j'ai joué à la manille pour passer le temps et cependant il m'a paru bien long. Mon patron m'a donné 3 marks, et un gateau pour Noël, car ici c'est la même chose que chez nous pour le nouvel an. Les etrennes se donne ce jours là. Je pense bien maintenant que c'est le dernier Noël que je passe en Allemagne. Les Russes ont demandé la paix, et les pourparlers sont en cours en ce moment. Cela pourrait amener la paix générale, c'est pourquoi j'espère une fin assez prochaine. Mais peut on savoir. Les allemands l'espèrent eux aussi, et leurs journaux du 25 portaient comme en-tête "le dernier Noël de guerre". Leurs derniers succès en Italie, et les négociations avec les Russes leurs donnent grande confiance. 4 mars - J'ai eu aujourd'hui le plaisir de lire un journal en français, la Dépêche de Toulouse. Cela m'a reposé de la prose de la Gazette des Ardennes. Les nouvelles ne sont pas tout à fait nouvelles puisquelles étaient du 15 Xbre, et il n'y a pas grand chose, en fait de nouvelles de la guerre, que je n'ai déjà vu, soit sur la Gazette, soit sur les journaux allemands. Seulement ce n'est plus le même ton. Dans la Gazette tout nous est présenté sous les plus mauvais aspects, et nous ferait, si l'on prenait tout à la lettre, douter de l'avenir. Car a les entendre, c'est à brève échéance la fin de la France. Le mois dernier l'Ukraine avait signé la paix avec les puissances centrales, mais la Russie du Nord, c'est à dire la Grande Russie, ne voulait la signer, tout en déclarant ne pas vouloir faire la guerre. Consécutivement à ces déclarations, les Allemands ont déclaré l'armistice rompue, et ont recommencé les ppérations contre les Russes. Sans aucune résistance, ceux ci les ont laissé avancer leur abandonnant tout leur matériel de guerre. En même temps les allemands leur envoyait un ultimatum, d'avoir à signer le traité de paix, mais cette fois avec des conditions encore plus désavantageuses. Aujourd'hui les journaux annoncent que les Russes ont signé le traité de paix. En tout cas, cela n'a pas l'air d'amener la paix générale. Les Allemands ont massé des troupes en France, et ont maintenant une armée formidable. On s'attend maintenant à une grande offensive de ce côté. Amènera-t-elle la décision de la guerre? Qui peut le savoir. En France on les attends de pied ferme. Les Américains commencent à arriver sur le front, dont-ils tiennent déjà un secteur. Les Allemands disent sur leur journaux que grâce à leur guerre sous-marine, l'aide américaine ne sera jamais d'un grand poids. Mais d'un autre côté, le journal que j'ai là dit que maintenant les sous-marins sont tenus en respect, et que bien tout danger ne soît pas disparu, l'effort allemand a atteint sa limite tandis que les Alliés augmentent constamment leurs forces. Qui croire dans tout cela ? En attendant la paix avec la Russie survenait après la défaite Italienne, a singulièrement remonté le moral à la population allemande, qui croit maintenant fermement au succès de leur offensive en France, ce qui mènera, selon eux, la Paix générale. Pour ma part je continue à trouver le temps bien long, surtout que je n'ai plus beaucoup de travail. A midi ma journée est finie, les pommes de terre ayant été remplacées par de la farine de pommes de terre. J'ai ainsi davantage le temps de songer à la situation, et mes pensées ne sont pas toujours couleur de rose mais depuis si longtemps que cette vie dure, je m'y suis habitué. Aussi, dès que je suis rentré au Kommando, tous les soirs je me lance dans des parties de carte que régulièrement arrête l'heure d'aller se coucher, et ainsi pendant quelques instants, je ne pense plus à rien. 12 avril - Depuis le 20 mars, les Allemands ont pris l'offensive sur le front français, ils ont avancé sensiblement et ont pris Albert et Montdidier dans les premiers jours, mais depuis ils ne bougent plus guère de place. Les Anglais sur qui l'offensive avait été déclanchée ont accepté la nomination d'un généralissime français, lequel commande maintenant toutes les armées du front. Que va-t-il en résulter. Arrivera-t-il enfin à repousser les Allemands. La tâche maintenant est bien lourde. Les Allemands n'ayant plus qu'un front sont terriblements forts, et j'ai bien peur que ce généralissime arrive trop tard. La bataille engagée actuellement, qui est assurément la plus grande que l'on ait vu sera peut-être la dernière. Tous les jours je lis les journaux et dame en ce moment ils chantent victoire, l'offensive ayant été déclanchée en même temps que le 8e emprunt était ouvert, il faut recharger le zèle de la population, et augmente ainsi les conscriptions. J'ai été assez longtemps sans recevoir de nouvelles de la maison et je commençais a trouver le temps long. Hier enfin j'ai reçu une lettre du 14 mars. Tous vont bien, heureusement. Quelle vie quand même être si longtemps séparé de ceux que l'on aime, et qui sait encore jusqu'à quand. Hier et aujourd'hui j'ai été planter des pommes de terre, aussi je suis bien un peu fatigué, n'étant plus habitué à ces travaux. 7 mai - Les Allemands ont de nouveau avancé ces temps derniers. Après avoir pris Soissons ils sont maintenant sur la Marne, qu'ils occupent, d'après leur rapport sur une longueur de 25 Kilomètres. Vraiment ce n'est pas gai et je me demande bien comment ça finira. J'ai beau avoir confiance, quand même, cela devient inquiétant. D'un autre côté des Français prisonniers depuis la fin mars, disent qu'en France on est plus fort que jamais. Alors! Alors!! que croire. Un accord a été conclu aussi au sujet de l'échange des prisonniers ayant plus de 18 mois de captivité. Les journaux allemands disait qu'il y a environ 20 000 de leurs hommes qui profiteraient de cet accord, aussi comme il y a peut être plus que cela de prisonniers français de 1914, je ne crois pas mon tour encore bien proche, mais il viendra peut être. Elise qui m'en parle aussi, ne le croit pas non plus, mais Blanche, elle, me voit déjà de retour. J'attends d'ailleurs sans trop d'impatience, espérant toujours que d'ici-là la guerre se terminara, ce qui pour tous, vaudrait assurement beaucoup mieux. 23 7bre - Il y a longtemps que je n'ai rien noté, et cependant, il y a eu quelque changement. Mais je deviens bien négligeant pour écrire. Il est vrai aussi, que pendant tout l'été je n'ai guère eu le temps. Comme mon patron a un peu de terre, il m'a fallu y travailler de temps en temps, et aussi la boutique a augmenté un peu. Je fais maintenant 3 fournées de plus par semaines. Ce n'est pas beaucoup, mais cependant avec le peu qu'il y a à faire ailleurs les journées se trouvent bien remplies. J'ai quand même des loisirs que j'emploie à lire les journaux. Maintenant je commence à lire l'allemand assez bien, mieux que je ne le parle, aussi tous les jours je lis le journal de mon patron, en plus, je reçois un journal suisse, la Nouvelle Gazette de Zurich, imprimé aussi en allemand. Nous nous sommes mis à plusieurs pour payer l'abonnement, et c'est moi qui le lis aux camarades. Naturellement, je ne puis le lire d'un bout à l'autre, mais tout ce qui trait à la guerre, j'arrive à le comprendre. Je vois ainsi tous les jours les rapports de tous les pays en guerre, et les appréciations j'un journal neutre, ce qui est beaucoup pour un prisonnier. Si j'avais cru la guerre si longue j'aurai commencé plutôt à apprendre l'allemand. Dans les camps il y a des professeurs, et j'aurai eu beaucoup moins de mal. Mais seul je n'apprend pas vite, et puis, je ne parle pas assez. Mais c'est plus fort que moi, je ne trouve rien à raconter, en dehors de ce qui a trait à mon travail. Les affaires de mon patron ne m'intéressent pas, et les miennes ne doivent pas l'intéresser beaucoup. Je ne serai jamais bien fort pour parler allemand, mais ça ne fait rien. Je me débrouille, et quand j'ai besoin de quelque chose, je me fais comprendre, c'est l'essentiel. Je pense bien que rentré chez nous, cela ne me sera d'aucune utilité. J'ai noté la nomination d'un généralissime, le général Foch, depuis nommé maréchal. En mai et juin, les Allemands ont continué leurs offensives, et gagné quelque terrain. Le 15 juillet, ils sentirent de nouveau d'avancer, à la Marne, qu'ils traversèrent et des deux côtés de Reims. Mais cette fois ils furent arrêtés net, et le 18 juillet le Français prenait la contre offensive. Ils réussirent à refouler les Allemands au-delà de la Marne prenant de nombreux prisonniers et pas mal de canons. Depuis les alliés n'ont cesser d'attaquer aux différents points du front. A l'heure actuelle, presque tout le terrain que les Allemands avaient pris depuis le 20 mars, est réoccupé. Vers Douai et Cambrai, les alliés ont pénétré assez profondément dans les anciennes lignes allemande, la "Hernie de Saint-Mihiel" a disparu. Les Alliés ont fait autour de 200 000 prisonniers et pris plus de 2500 canons. En deux mois, ils ont donc fait plus que les Allemands en trois mois d'offensive. Cela a contribué naturellement à relever le moral. La guerre n'est pas finie, loin de là, mais on a plus de confiance maintenant en une fin victorieuse pour nous. D'un autre côté les sous-marins coulent beaucoup moins de bateaux. Les journaux ne marquent plus journellement qu'une moyenne de 10 a 12 000 tonnes, alors qu'il y a un cela allait au dessus de 30 000. J'avais bien raison de ne pas trop compter sur l'échange pour rentrer en France. Depuis déjà près de deux mois il est arrêté par le gouvernement français, le gouvernement allemand n'observant pas le règlement de l'accord. mais celui-ci dit qu'en réalité le gouvernement français a arrêté l'échange parce que les travaux de constructions du camp pour le passage des échangés, ne sont pas terminés. Deux cloches, deux sons, et les prisonniers conitnuent à attendre. De la maison j'ai toujours de bonnes nouvelles. Tous sont en bonne santé. J'ai reçu une photo de toute la famille, et j'ai trouvé mes enfants bien changés. 4 ans que les ai quitté! Ils grandissent loin de moi, et cependant j'aurais été si heureux de guider leurs premiers pas. Quand je pense à tout cela, cela me fait trouver la vie que je mène ici, horriblement vide. Si loin, séparé de tous ce qui fait le charme de la vie, nous sommes presque comme des bêtes de somme, travaillant toute la journée, et le soir rentrant au repos, où nous sommes enfermés. c'estdur de vivre ainsi, et comment par instant ne pas avoir d'idées sombres. J'ai appris avec plaisir que Alphonse Chanceau était prisonnier, après avoir su qu'il était resté blessé gravement sur le terrain.
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Sources

Afin de vous en faciliter l'accès, vous trouverez son carnet de souvenirs ici en format pdf (téléchargement assez long). La numérisation originale est disponible sur le site des Archives du Loiret .