Extrait du récit des souvenirs de guerre de Ernest PIN

Pages 69 à 79, les baraques

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LES BARAQUES DU CAMP

Je vous ai parlé au cours de ce récit de quelques unes déjà, mais d'autres existent certes qui méritent une mention, toutes ayant leur raison d'être.
Étant destinées à loger des prisonniers venus de tous les horizons d'une nation, avec toutes les professions y exercées, rien d'étonnant à leur nombre, chacun, les premiers émois apaisés, ayant à cour de se retrouver dans sans atmosphère et se couper le moins possible d'un monde qu'on désire tant retrouver.

L'INFIRMERIE

en occupe deux, très spacieuses, propres et très éclairées: elles sont sous la direction nominale d'un Médecin-Chef Allemand, mais sous la tutelle effective de deux majors Français avec leurs infirmiers désignés par eux qui assurent le service dans les meilleures conditions compatibles avec le sévère rationnement de l'Allemagne.
Il faut reconnaître que nos Gardiens mettent tout leur bonne volonté à nous soigner et grâce à l'apport des colis sanitaires venus de France, l'Infirmerie a toujours soulagé les petites maladies courantes: il est évident que des camarades astreints au travail auraient obtenu, le cas échéant, des dispenses plus faciles que dans les camps de représailles.
Il a été établi d'ailleurs que l'état sanitaire des camps de prisonniers a toujours été satisfaisant et sauf la terrible épidémie de Typhus au Camp de CASSEL en 1917 qui a fait trente mille victimes chez les Français, on peut dire que le taux de mortalité n'a jamais dépassé celui du temps de paix.

LES DOUCHES

qui sont une dépendance de l'infirmerie, servent aussi à l'épouillage: il n'y a aucune honte à avouer en effet qu'en arrivant au camp, les prisonniers du front sont couverts de vermine: tranchées françaises ou allemandes sont au même niveau: on dit que dans ces dernières les poux sont plus gros seulement.
Mais le courant d'air chauffée à 200° auquel sont soumis les vêtements à vite fait de les assainir et l'installation de douches chaudes collectives pour 50 hommes à la fois permet deux fois par semaine un taux de propreté corporelle convenable: je me souviens que le dernier jet complètement froid ravigote, mais provoque toujours des réactions bruyantes et salutaires.
Concluons que cette exposition d'académies un peu macabre en costume d'Adam n'est guère brillante et les cercles osseux des côtes en disent long sur les privations de toutes sortes.

LES TAILLEURS et les Cordonniers ont aussi leur Baraque. Au début, rien n'avait été prévu pour l'habillement des prisonniers, sauf d'informes sacs en toile, mais à mesure que la guerre s'éternise, les gens du métier sont heureux de continuer leur profession avec quelques bons ersatz, mais surtout avec des fournitures venues de France.
Les services qu'ils rendent sont appréciés de tous, soit pour un ajustement, une réparation ou du neuf même. Ils sont rares ceux qui ne les ont pas occupés et les Allemands, des officiers aussi, deviennent leurs clients. Ne serait-ce pas une maladresse certaine de leur refuser?

LES CUISINES

existent certes, mais ne présentent hélas? aucun intérêt.
Alors que dans n'importe quel établissement, communautaire ou particulier, c'est la partie qui attire le plus de visiteurs, ici rien de semblable... et vous savez pourquoi; mais ce que vous ignorez certainement c'est le degré d'indigence où en est réduit le fonctionnement.
Tandis qu'au début, on pouvait admirer et voie à l'ouvre les monumentales marmites d'une soupe bien garnie, les plats immenses destinés à cuire légumes et poissons, les récipients pour toutes sorts de viandes, peu à peu, les plats et les récipients se sont raréfiés pour s'éclipser totalement, les soupes se sont clarifiées, pour n'être plus que de l'eau bouillante où flottent quelques feuilles de choux ou de raves avec des rutabagas souvent avariés.
Le menu ne varie jamais: le matin à 6 heures un litre d'une eau noire où ont bouilli des glands (le café) et le soir à 5 heures (17h aujourd'hui) un litre et demi de la soupe ci-dessus avec 250 grammes d'un pain noir (que contient-il?) où la marmelade et la margarine promises sont souvent absentes.
Dire que les pauvres Russes ont tenu à un pareil régime des mois entiers, en fournissant de plus un travail éreintant est une performance qu'on n'oserait imaginer. Les victimes de ce régimes inhumain ont été si nombreuses que les statistiques officielles n'en font pas mention? Pour la plupart, ce régime n'a pas cessé même après la Révolution de 1917, soit parce que leur nouveau gouvernement n'a pas demandé leur rapatriement soit que les Allemands à qui ils étaient si nécessaires aient tout fait pour les conserver.

Certes les Français, de bonne heure, nourris par les colis venus de France, n'ont plus sauf circonstances spéciales, participé à ce menu, mais l'ont toujours pris, pour tenter d'en faire profiter les infortunés Russes, quand ils en ont eu la permission, selon la volonté du Chef de Camp.

LE LIEBESGABEN

a l'origine, occupait une baraque seulement. Mais cette organisation de bienfaisance a tellement étendu son activité qu'actuellement elle compte:
celle des biscuits reçus de France qui fournir à chaque prisonnier son pain quotidien.
celle des colis de toutes provenances à distribuer aux nécessiteux, après avis du comité.
celle de la bibliothèque et des vêtements
enfin celle des Réserves pour les jours de coups durs: il y en a eu qu'on a pu passer vaillamment.
Je crois vous avoir dit déjà que les Allemands, dans tous les camps, ont toujours mis un point d'honneur à ne jamais pénétrer dans les locaux, ni chercher à savoir leur contenu, avertis qu'il était du à la générosité des familles ou à la solidarité nationale: par contre nous ne leur avons jamais donné motif à s'en repentir.
Pour assurer sa mission, le COMITE a créé un fichier modèle au moyen duquel nous pouvons connaître à tout moment pour tout prisonnier avec son identité exacte, son curriculum vitae, le nombre de colis reçus et surveiller sa correspondance.
Comme il est méticuleusement tenu à jour, les Allemands viennent parfois le consulter.

LE LAVOIR PUBLIC

Je ne vous ai pas dit encore que le Camps était alimenté en eau potable par une source importante et très bonne à l'analyse, sortie de ce bois communal qui situé au nord, nous protégeait un peu des vents froids.
Une douzaine de bornes fontaines avec robinet d'arrêt étaient réparties à l'intérieur de façon à alimenter tous les quartiers.
C'est autour d'elles que les hommes, été comme hiver, faisaient leurs ablutions journalières ou lavage de petit linge: à cet effet les pitoyables plats individuels en tôle émaillée nous ont été bien utiles.

Pour le lavage du linge de corps plus important, les Allemands dès le début avaient équipé convenablement une baraque spéciale, fermé de 3 côtés et ouvertes au midi.
Le milieu est occupé par un grand bassin ovale autour duquel serpente un tuyau de plomb, percé de mètre en mètre, d'une ouverture avec robinet et une planche pour le lavage.
L'eau y est assurée de 6 heures à midi, période au cours de laquelle tout monde doit venir faire sa lessive.

Je dois dire que la cinquantaine de Russes affectés au nettoyage du camp nous apporte grande aide à ce sujet.
L'ambiance est toute spéciale: est-ce le climat ancestral des lessives qui s'épanouit ou la réunion insolite d'individus qui se manifeste, les cancans y éclatent facilement, les bobards y naissent comme dans tous les lavoirs du monde entier.
Au front, on parlait des tuyaux des Cuisines, ici ce sont ceux du lavoir (et Dieu sait qu'il en circule)?
L'étendage est ensuite pratiqué par chacun autour de sa baraque c'est plus prudent?

Non loin de là et dans un coin isolé sont installés les W.C. communs dans un local fermé aux intempéries et tenu dans un état de propreté très convenable, grâce toujours à nos braves Russes qui pour quelques biscuits ou tablettes de chocolat remplissent volontiers le rôle d'éboueurs.
Comme toutes les eaux usées, grâce à une légère pente, viennent se rassembler en cet endroit, c'est de là aussi que nos braves Russes les conduisent sur un vaste champ d'épandage situé à proximité qui, terrain quelconque à l'origine, s'est fertilisé au point de produite outre les salades et légumes verts des maraîchers, une quantité très appréciable de pommes de terre 50 tonnes en 1918. Les Allemands ont accepté de nous les délivrer en nature, ce qui fait la joie de nos popotiers, ce précieux tubercule étant la base de leur cuisine.

LES SPORTS

De très bonne heure les prisonniers ont aménagé leur salle de Gymnastique, avec des agrès de fortune sans doute.
Rien de tel que des exercices corporels même violents pour chasser le cafard: on ne songe plus à rien: on se distrait, on amuse les camarades, on entretient sa santé et c'était alors le meilleur moyen d'exciter l'admiration de nos gardiens.
Ils ont même permis de changer en piste de course à pied parallèle le long couloir qu'a créé la double rangée de barbelés autour du camp qui lui était uniquement réservé.

La Ville aussi nous a aidé à installer portique, chevalets et gros agrès de gymnase.

Les compétitions, organisées par les dirigeants, n'ont pas tardé à fleurir et prospérer: elles ont accéléré et répandu l'entraînement et l'émulation. On a concouru de baraque à baraque, de profession à profession, de classe à classe et ce brassage des prisonniers à tous les stades a eu les plus heureux effets. Nous avons même mis en honneur le jeu si populaire des boules, pétanque comprise, si méprisé alors.
Bref, il s'est vérifié à nouveau le vieil adage: "Mens sana...

CANTINE A côté du Poste de Police, les Allemands ont ouvert un local où se trouvent les mille petits objets sans grande valeur, mais si utiles dans la vie courante. Pour quelques pfennigs, les P.G. peuvent là se procurer des lacets, du fil, des aiguilles, des cordelettes, du savon (ersatz), de l'encre, du papier, des crayons, du sel, des ustensiles de cuisine, des couteaux de poche petit format, des montres, des cravates, des fleurs séchées pour des infusions, etc
En été, on y trouve même des bouteilles de limonades à la saccharine et de la bière, un breuvage qui n'en a que le nom.
C'est peu en somme, mais qui fait tant plaisir.

Par voie de conséquence pourrait-on dire, à proximité existe un autre local où s'est installé une sorte de marché aux puces où chacun apporte soit ce qu'il voudrait bien échanger, soit ce qu'il désire vendre ou acheter. Là encore ce sont de bien pauvres objets en étalage, mais à celui qui en est dépourvu quel bonheur de se procurer un vêtement, des chaussures, des boites de conserve à échanger, des montres, des paquets de tabacs aux non-fumeurs? ETC

REMARQUE Puisque l'homme est composé d'un corps et d'un âme, il a deux sortes de besoins à satisfaire: les matériels et les spirituels. Nous venons de voir comment nous avons essayé de combler les premiers, il nous reste donc à voir les seconds.

LE CULTE De même que les peuplades les plus primitives et plus reculées, avant toute entreprise, se mettent sous la protection de leurs dieux, sorciers ou voyantes qu'ils ont fabriqués de toutes pièces, marquant ainsi la primauté du fait religieux pour l'homme, ainsi au Camp une des premières baraques ouvertes a été celle consacrée au Culte.
Là se livrent à leurs exercices pieux quatre principales religions: les Catholiques, les Protestants, les Israélites, les Mahométans.
L'accord s'est rapidement établi entre les divers ministre de ces cultes pour les jours et heures où chacun pourra officier.
Une sorte de Concile avant la lettre s'est ouvert qui a mis en pratique le Grand précepte de Morale commun à ces divers cultes: AIMER SON PROCHAIN COMME SOI-MEME.
Au camp, plus d'ostracisme entre catholiques et Protestants, plus de guerre de religion qui a fait couler tant de sang et d'encre. le curé et le pasteur, prémonition de l'avenir, fraternisaient sincèrement au point de célébrer des exercices communs; il n'est pas jusqu'aux Islamistes qui sont tout fiers de constater qu'ils ont aussi un Dieu Unique ALLAH et une Vierge-mère à honorer MYRIAM.

Chacun a appris à se mieux connaître et partant à pratiquer une large tolérance.

J'ai gardé le souvenir ému de ces Grand-Messes du Dimanche où l'Harmonie du Camp (toutes religions) prêtait son concours et rehaussait la Liturgie de sa présence musicale et où les assistants d'ailleurs étaient loin d'être tous catholiques.

LA BIBLIOTHEQUE

se trouve je vous l'ai dit, dans le locaux du Liebesgaben et elle comprend environ 6 000 volumes, dont 500 offerts par la Ville de Quedlinbourg.

Dans une salle spacieuse, propre, très claire, et bien chauffée en hiver, deux rangées de longues tables avec sièges autour, attendent les visiteurs.
On peut soit emporter trois livre à la fois en les prenant en consigne sur un Registre ad hoc, soit lire et consulter sur place tous livres, ouvrages ou documents, mais d'une façon strictement silencieuse.
La clientèle très nombreuse est assidue et l'on ne peut qu'admirer l'application studieuse de tous ces grands enfants qui après les classes scolaires, viennent ici compléter leur savoir.
D'ailleurs, CALVET, le grand Pontife, recommande sans cesse à ses bibliothécaires de renseigner, guider, satisfaire toutes les demandes qui sont formulées.

Comme la Science et les Arts, pas plus que l'Amour, ne connaissent de frontières, les Allemands du Poste viennent parfois emprunter des livres français ou allemands qu'on ne leur refuse jamais.

LES CONFERENCES

ont lieu dans une salle qui est à double destination. Jusqu'à midi, elle sert de salle de classe où des instituteurs (des vrais) ont rassemblé tous les illettrés ou presque pour leur procurer ce grand bienfait de l'instruction: et c'est vraiment un délicat spectacle de vois ces jeunes ou vieux adultes, peiner en tirant la langue, comme des écoliers, sur une page d'écriture. Comme leur application est soutenue, les résultats sont consolants.
Combien de prisonniers, sachant à peine lire et écrire ou pas du tout, ont été amenés ici au Certificat d'études et combien d'autres au Brevet Élémentaire. A voir leur bonheur de pouvoir écrire des nouvelles à leurs parents et surtout lire les réponses fait plaisir à constater et je crois que c'est là la meilleure récompense de leurs maîtres.

Pour l'après-midi, "PAULO MAJORA CANAMUS".
Ce sont les Érudits, les savants qui viennent occuper l'estrade et souvent sous la Présidence effective de CALVET. Ils veulent faire profiter les camarades de leur savoir, de leurs études ou des résultats de leurs recherches et de leurs méditations: c'est un spectacle bien réconfortant de voir des prisonniers de guerre ouvrir ainsi leur esprit et leur cour à leurs camarades d'infortunes, en leur donnant le meilleur d'eux-mêmes, remplissant ainsi le suprême devoir de Charité.
Ces conférences abordent tous les sujets:
scientifiques, littéraires, religieux, politiques, économiques ou sociaux, philosophiques et historiques, même fiscaux.
Lorsque CALVET m'a demandé d'en faire une sur mon administration, je redoutais l'aridité du sujet. Le démenti m'est venu de l'affluence et l'application de mon auditoire. Ensuite j'ai dû donner des consultations; qui n'a pas un jour ou l'autre un règlement de succession?
J'écarte tout de suite les sujets politiques, une tentative à ce sujet (et il fallait la faire) a donné un résultat trop significatif.
Le conflit est trop récent encore qui a eu pour objet la Séparation de l'Église et de l'État. Mais je dois dire qu'ici dans le grand silence et la méditation, rares sont ceux qui peuvent reconnaître une utilité à ce drame qui a failli ensanglanter la France.

A quoi ont servi ces fameux Inventaires qui parfois ont été sur le point de mal tourner? Mon Administration le sait bien qui les a tous jetés dans la corbeille à papier...
Et le MILLIARD des Congrégations qui devait remplis les Caisses de l'État, alors que pas un seul contribuable n'a vu baisser d'un centime se feuille d'impôts...
Et l'expulsion des Religieux? On les a chassés par la force souvent, comme de vulgaires renégats (ce sera la honte de la III° République) car on a bien su les retrouver le 2 août 1914 pour leur remettre l'ordre de Mobilisation qu'ils auraient pu rejeter comme on les avait rejetés eux-mêmes?
Mais leur âme était plus haut placée: tous sont rentrée, et souvent avant d'avoir reçu l'avis officiel. La mère Patrie était en danger, ils ont considéré comme le plus sacré des devoirs de voler au secours de celle dont ils étaient toujours les enfants chéris...

Bref, les conférences abordaient tous les sujets et je n'oublierai jamais les heures délicieuses passées dans cette atmosphère de calme, de lumière, de paix, à écouter toutes sorte de matières dans un style enchanteur. Là, on oubliait la guerre, le camp; on se croyait dans un amphithéâtre de chez nous, à portée de nos amis, de nos parents, de la France.

Un de celles qui ont le plus occupé mon esprit, je m'en souviens encore, avait pour auteur nous cher CALVET même. Il commentait le vieux proverbe: "SI VIS PACEM, PARA BELLUM".
Et si étonnant que cela vous paraisse peut-être, il a pris position contre cette devise de la Sagesse des Nations.

Naturellement, son propos ne pouvait nier l'évidence, souvent traduite par: "Posséder la force pour n'avoir pas à s'en servir." mais, a-t-il ajouté, là n'est pas la solution de ce terrible problème; vous n'ignorez pas que dans une nation qui s'arme sans cette et à outrance, un jour la moindre étincelle, venue on ne sait d'où, met le feu aux poudres et les canons partent tout seuls.
Ce ne sont pas les armements qu'il faut développer, disait-il, car ils deviendront de plus en plus meurtriers, c'est au contraire le désarmement qu'il faut prêcher partout et sans cesse pour que cette notion pénètre de plus en plus dans les esprits et dans les cours. Ce jour-là, avec la Paix, ce sera le vrai bonheur sur terre.

C'était un prophète cet homme: il ne croyait pas si bien dire: mais 20 ans plus tard un cataclysme sans précédent venait apporter une illustration terrifiante à sa théorie.

LE THEATRE

est né de très bonne heure au camp, car nous avions parmi nous le célèbre comique troupier POLIN¹ qui faisait fureur à l'époque que les scènes des cabarets parisiens.
Quiconque l'a vue une fois sur les planches avec son costume sombre d'artilleur à bandes rouges, le képi enfoncé, le mouchoirs à carreaux sortant de la poche, ne peut plus oublier cette silhouette militaire qui dès sont apparition soulevait un enthousiasme délirant.

Tout de suite, il avait organisé une baraque pour y exercer son art et dressé des comiques "Genre Polin" dont certains lui ont fait honneur plus tard. Mais il était un sorte de gloire nationale: la France l'a échangée de bonne heure et nous ne l'avons plus revu.

Toutefois le mouvement était créé et les Allemands nous ayant autorisé à réunir deux baraque, c'est une belle salle de théâtre (28 x 12) que nous avons pu ainsi aménager pour 600 places assises sur des bancs.

En a-t-on joué des pièces, en a-t-on chanté des chansons sur cette scène d'occasion? Mais vous connaissez la célèbre devise d'AUBANEL qui écrivait en provençal:
"QUAU CANTO SOUN MAU ENCANTO"
(Qui chante son mal enchante) en fait au théâtre, nous oublions notre misère.

Après la comédie, de fut le poème, puis le drame et lorsque notre Harmonie fut dotée de sa batterie et d'une piano, on s'est attaqué à l'opérette et même au grand Opéra.
Mais, direz-vous par qui donc étaient tenus les rôles de femmes?
Tout simplement par des ténors légers: nous en avions quelques-uns au camp qui faisaient merveille, et les costumes venaient de France.

Bref, la renommée de notre troupe a rapidement franchi nos barrières et comme des officiers allemands du camp ont honoré nos invitation, la Ville a vite été informée de nos réalisations.
La plus mémorable est la suivante que je veux vous conter.
La troupe avait mis sur pied après de nombreuses répétitions le drame de Victorien SARDOI, intitulé: PATRIE, tandis que l'orchestre apprenait la musique de PALADILHE pour l'interpréter aux entractes?

On était aux premiers jours de 1918. En surface, rien ne faisait encore prévoir la débâcle allemande, mais nous qui avions des antennes, savions que ce beau drame pouvait être interprété.
Les nombreuses invitations lancées avaient porté et c'est devant une salle comble à craquer que la représentation avait commencé.

Tout allait pour le mieux: acteurs et musiciens s'étaient surpassés, quand vers la fin du spectacle, tout à coup l'orchestre attaque en sourdine, la célèbre complainte de P.Déroulède:
Ils ont brisé mon violon
Parce qu 'il a l'âme française
Et que sans peur aux échos du vallon
Il a chanté la Marseillaise.
Et dans un grand silence; précurseur d'orage, subitement toute l'Harmonie se déchaîne avec l'orchestre, aidée des tambours et clairons de la clique et attaque sur un rythme lent, puissant et soutenu, avec un millier de poitrines qui les entonnent, les paroles sacrées de notre HYMNE national tandis qu'un immense drapeau tricolore déroule ses plis glorieux sur la scène. Et de cette musique et de ce chant monte comme une force, une puissance qui émeut et qui va crescendo, avec le fracas des paroles pour éclater en fanfare aux accents enflammée du refrain
Aux armes, citoyens...
L'émotion, d'abord contenue, est maintenant à son comble et éclate de toutes parts: on dirait que les murs de la Baraque vibrent à l'unisson et que dans l'air de la salle plane et palpite l'âme même de la FRANCE...

Dès le début, les Officiers Allemands se sont levés et ont ostensiblement quitté la salle pour aller délibérer sans doute sur l'incident.
Nous avons su que certains voulaient faire sonner l'alerte générale, croyant à un soulèvement, et qu'il a fallu toute l'autorité du Maire de la Ville et de son grand ami, le père d'ANITA, présents au spectacle, pour éviter un malheur.

Car l'alerte Générale c'est l'occupation immédiate des quatre miradors élevés aux extrémités du camp par quatre mitrailleurs dont la consigne est, une fois allumés de puissants projecteurs, de tirer une bande de cartouches à travers les baraques semant ainsi à l'aveuglette la mort et l'épouvante.
Le lendemain, la punition nous est notifiée: suppression de lettres et de colis à tout le camp, pendant dix jours consécutifs: on respire?
Nous bénissons intérieurement nos deux sauveteurs qui nous ont permis de ne pas payer trop cher l'explosion délirante de notre patriotisme. Pressentent-ils l'avenir?
Plus tard, nous avons appris de source sure le rôle décisif d'ANITA auprès de son père qui ne savait rien lui refuser, pour son assistance à notre fête et pour son intercession en notre faveur auprès de ses camarades, les officiers du camp. Moi, je n'en avais jamais douté.

Voir la fin de son récit (fin de la guerre).


Notes

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¹Il s'agit d'une erreur. Peut-être était-ce une légende qui circulait dans le camp? POLIN n'a en effet pas été au front et n'a pas non plus été fait prisonnier.
Celui qui fait naître le théâtre au camp est un autre comédien: Camille LARCHÉ.

Sources

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Récit dactylographié et manuscrit communiqué par sa petite-fille Bernadette VERDEIL.