Extrait du récit des souvenirs de guerre de Ernest PIN

Pages 88 à 89, épilogue

séparation

EPILOGUE

Et maintenant tous nos efforts désormais vont être axés sur notre départ.
Un principe général et logique a été adopté: le retour s'effectuera dans l'ordre chronologique de l'arrivée en Allemagne. Chaque camp doit établir soigneusement sa liste qui permettra au Comité Central du Rapatriement d'organiser les départs en conséquence.
Il faut reconnaître que dans le tohu-bohu de la situation présente: Alliés qui font mouvement pour la rive gauche du Rhin, Allemands qui se retirent, populations qu'il faut ravitailler, réparations incessantes des voies de communication, transports toujours perturbés, etc nos vaincus font merveille: ils sont parvenus à isoler un matériel roulant qui par une incessante rotation a pu assurer notre retour (un peu lent peut-être mais régulier) par quatre grandes artères: la Suisse, la Belgique Metz et Strabourg.

Comme départ signifie séparation, c'est la rupture brutale des mille liens que se sont tissés lentement entre nous.

Dès le début je suis le plus atteint, car mes trois commensaux de la Popote font partie du Ier convoi, le 25 novembre 1918 tandis que je sera parmi les derniers avec ce brave Calvet qui sacrifie son tour pour rester jusqu'à la fin: il veillera à ce que rien ne reste de ce qui doit regagner la France. Nous partons le 28 décembre.
L'état d'âme de mes camarades est celui qu'on peut supposer: Marion ne sera vraiment convaincu qu'en voyant N.D. de la Garde. Lombard est tout à la joie de serrer sa femme et ses trois enfants dans ses bras largement ouverts. Quant à TÊTE, je sens en le quittant "Qu'un ami véritable est une douce chose".

Les serments de se revoir s'échangent de toutes parts avec les quelques pauvres menus objets de captivité qui veulent être le témoignage durable de souvenirs communs.
Une correspondance s'est établie qui devait durer toujours, mais s'est vite espacée: la vie trépidante nous a vite repris, et nous ne nous sommes jamais revus?

Pour ANITA je n'ai pas cherché à la revoir, elle non plus d'ailleurs. Par une sorte d'accord tacite , nous avons voulu conserver pur et intact le souvenir de notre Amour.
Elle a ma photographie, j'en ai deux d'Elle: la sienne et celle de sa maison où elle apparaît au I° étage à la fenêtre de sa chambre à coucher de jeune fille; au dessous le petit salon vert ouvre toujours sa grande porte-fenêtre sur le vaste jardin où nous sommes allés si souvent cueillir ensemble les dernières fleurs de l'automne et les premières du printemps: celles qui ont inspiré à VERLAINE ses vers immortels, si justement célèbres:
Ah, les premières fleurs qu'elles sont parfumées.
Et comme il bruit avec un murmure charmant
Le premier: "OUI" qui sort des lèvres bien-aimées.

QUANT A DICK, je ne l'ai revu qu'une fois. Un soir qu'il divaguait dans la Grande Rue, il croisa notre petit groupe, renifla, me reconnut et voulut remettre, comme autrefois, ses pattes sur mon épaule. Il a fallu lui jeter quelques pierres pour qu'il comprenne. Mais à côté des pierres que j'ai du, sans être méchant, lancer à sa Maîtresse??

Le retour des premiers prisonniers a été triomphal. Ils ont été accueillis par la France comme des enfants qui rentrent à la maison après une longue absence et reçus par les Autorités avec les honneurs dus à des Anciens Combattants.
Par la suite, l'enthousiasme du début a rapidement fait place à la satiété. Est-ce que des esprits grincheux ont sous-estimé les souffrances si dures de la captivité? Est-ce que les opérations du retour ont duré tops longtemps? Est-ce que le poignant contraste entre celui qui revient et son infortuné camarade qui dort là-haut, quelque part, dans un coin de tranchées, s'est imposé d'avantage?
N'importe... Elle a bien été prononcée la phrase sacrilège: "Mais il en rentrera donc toujours?".

Plus tard, il a fallu tout le poids de la Fédération Nationale des Anciens Prisonniers de Guerre (la F.N.A.P.G.) pour nous faire attribuer les avantages et la qualité d'Anciens Combattants, si libéralement octroyée pourtant aux mobilisés dans zone du Front, qui dans les services de l'arrière n'ont jamais vu le Feu. C'était pourtant un non-sens, car par définition, un prisonnier de guerre a été fatalement, ne fut-ce qu'une fois, un combattant de première ligne.

Puis est revenue vous savez pourquoi, la guerre de 1940, om par des razzias gigantesques, au moyen de ses Panzerr, l'Allemagne a de nouveau rempli ses geôles avec la moitié de l'Armée française. Je suppose que parmi nos dénigreurs d'antan, certains devenus, par un juste retour des choses d'ici-bas, prisonniers à leur tout, ont dû comprendre?

Pour nous, nous savons que la France Éternelle, devenue déchirée, meurtrie, exsangue, a serré sur sa douce poitrine avec la même ardeur ses 400 000 enfants, qui lui apportent à nouveau avec leur amour, la force de leurs bras et la loyauté de leurs cours.

Pour terminer, j'affirme encore, que si l'on nous avait écoutés en démantelant toute l'Allemagne à l'armistice (et ce sera mon dernier mot) jamais ce Champion vénéneux de HITLER n'aurait pu germer si vite, puis croître et embellir, sur la couche de fumier qui n'aurait plus été intacte.

FIN


Sources

séparation

Récit dactylographié et manuscrit communiqué par sa petite-fille Bernadette VERDEIL.