Extrait du récit des souvenirs de guerre de Ernest PIN
Pages 40 à 45, les évasions
CHAPITRE VIII - LES EVASION Ja vous ai dit que le deuxième souci majeur d'un prisonnier est de recouvrer la liberté, parfois à n'importe quel prix. A cet égard, pour bien saisir la nature du terrain juridique sur lequel se plaçait l'État allemand en face d'une évasion non réussie, il suffit de rappeler les paroles du Président du Tribunal ou du Chef de camp saisi de l'affaire qui étaient invariables: "Vous, prisonniers Français, avez fait votre devoir en vous évadant et je vous en félicité, maintenant à moi de faire le mien en vous punissant selon les circonstances". Sur ce point, les évasions pouvaient revêtir trois formes: 1° Elle était pure et simple, si l'évadé avait fui en trompant la surveillance d'une sentinelle. 2° Elle était plus grave si pour s'évader l'homme avait causé des dommages aux biens allemands, bris de clôture, dégâts matériels à la propriété, destruction d'effets, etc. 3° Enfin elle était sanctionnée par le peloton d'exécution, si l'évadé avait causé de graves blessures ou la mort d'un sujet allemand. Dans le premier cas, la sanction était légère: c'était le changement de Kommando ou de camp, selon le cas. Dans le deuxième, la punition pouvait aller de 20 à 60 jours de prison militaire selon la gravité des dommages, l'évadé ayant toujours la faculté de faire changé sa prison ordinaire en trois jours de "STRENG ARREST"? Dans ce dernier cas, le prisonnier était enfermé à midi dans un cachot constitué par un trou dans le sol souvent humide de 1,60 dans toutes ses dimensions (impossible donc de s'étendre convenablement), sans lucarne, sans air, sans le trou de la serrure, une tinette dans un coin; c'est tout. Une fois la porte bouclée, jusqu'au troisième jour à midi, personne ne venait voir et s'informer si le détenu était encore vivant n'ayant ni liquide ni solide avec lui. Ce régime de barbarie est extrêmement dur: même les "DURS" le redoutent; c'est la sortie qui est cruciale. Des camarades spécialisés se tiennent là tous les jours pour recevoir le sortant qui titube, quand il a survécu, car on a des exemples de mortalité. Un peu d'au d'abord, puis une goutte de lait, plus tard du chocolat, le soir un repas léger si l'on veut éviter de graves accidents de la circulation. Quant à s'imaginer la préparation d'une évasion et les divers modes qu'elle revêtait, vous pouvez mettre en marche toutes les ressources de l'esprit inventif des Français et vous savez qu'elles sont inépuisables; cependant toutes s'inspiraient des principes suivants: le nombre des participants est de deux en général: un seul est trop exposé étant isolé et sans secours et un ensemble de trois ou quatre risque trop de se faire repérer? des vêtements civils sont indispensables, mais les camarades des Kommandos de la ville font le nécessaire: avec un ciré noir par dessus (on en trouve facilement) le camouflage est parfait. de l'argent allemand (des deutschmarks) est utile: car si l'on doit faire une acquisition, le LAGER GELD, argent de camp, révèle trop bien votre identité. A ce propos, j'ai bien compris là une des raisons qui ont poussé les Allemands à créer cette monnaie, seule valable dans le camps: il paraît aussi qu'il y a aussi une raison économique et politique que je n'ai jamais essayé de réaliser, étant trop peu versé dans les sciences financières d'un Etat en guerre? il faut être muni d'une carte ou un plan, d'une boussole, cet objet que les perquisitions recherchent tant, d'une bonne montre et enfin d'une lampe électrique de poche, si utile la nuit pour savoir où l'on est, en lisant les poteaux indicateurs des routes. la question de la nourriture joue aussi un grand rôle, surtout si, éloigné d'une frontière, on a un long parcours à faire: on s'y prépare longtemps à l'avance en mettant de côté tout ce que dans les colis peut servir à cela. Le chocolat en est l'élément primordial. dès le milieu de la guerre, il a fallu aussi du poivre pilé: c'est le moment où les Allemands ont formé des meutes de chiens policiers spécialement dressés pour suivre les prisonniers mais un peu de poivre pilé remplissait leurs narines: ils étaient dès lors incapables de suivre une piste. J'ai assisté à des séances de dressages de ces merveilleuses bêtes: vous ne sauriez croire l'amertume profonde qui se dégage de ce vil spectacle: apprendre à un animal la haine d'un homme innocent envers lui: c'est tout simplement diabolique et quand on y réfléchit, c'est une des taches profondes qui restera au front des Allemands. les modes d'évasion sont des plus divers: le plus courant est la marche à pied et de nuit autant que possible avec une longue marche dès le premier soir (les départs ont lieu à la tombée de la nuit) vous devinez pourquoi. Dans la journée on se repose dans les champs couverts de leurs récoltes qui dont de paisibles cachettes et des lieux de repos parfaits: aussi les départs en automne ou en hiver sont très difficiles et hasardeux. le lieu de départ joue aussi un rôle: pour quitter un Kommando, on profite de la distraction ou de la complicité de la sentinelle et l'on file. Mais pour quitter un camp en partant d'une baraque il faut accomplir un long travail souterrain, aidé par les copains, de façon à déboucher en dehors des deux enceintes de barbelés qui entourent le camp. Les film de guerre en général font des tableaux dramatiques, des avatars et de la fatigue de ce travail de sape souterrain où tout le monde s'emploie à transporter et disperser sous les baraques la terre mis en sacs au fond. Pour nous nous à Quedlinburg, la tache est plus rude encore, car après l'enceinte des barbelés il y a la voie ferrées (à quadruple voie) de COLOGNE à BERLIN, en passant par Magdebourg qu'il faut encore traverser en souterrain, de plus nous sommes trop loin de toute frontière: j'ai vu pourtant quelques tentatives, aucune n'a pu réussir... Un procédé plus commode quand il était possible était au début le retour en Suisse dans les Wagons de Biscuits dont je vous ai parlé. Les gros emballages du début, des caisses en planches légères d'un mètre cube, qu'on retournait à vide pour resservir, avaient été ensuite transformés en paquets de planches démontées, pour occuper moins de place. Comme les wagons étaient remplis et plombés sur place jusqu'en Suisse, il était facile d'enfermer dans les bois quelques volontaires qui avaient réussi: plus tard, le truc étant éventé était devenu trop dangereux. Mais les chemins de fer ont été employés de tous temps au grand jour pour de petits parcours ou sur des essieux de roues dans certains cas: la réussite alors était bien hasardeuse. Il y a eu des évasions cocasses: un chauffeur de profession en Kommando dans une mine se fait embaucher par le mécanicien d'un train de charbon en partance vers la Suisse et passe la frontière avec 2 copains cachés sous le tas de charbon du tender. En fait pendant la période d'été, les fuites des camps ou Kommandos étaient nombreuses et beaucoup de prisonniers étaient en vadrouille à travers le pays; mais les autorités ne s'émeuvaient pas beaucoup: elles savaient que la frontière attendaient ces trimardeurs, soit au lac de Constance soit le long du Rhin ou à Bale où était pourtant parait-il installé un lot de passeurs clandestins. Car à la frontière les surveillances de toute nature étaient si fortement organisées que le passage était devenu presque impossible avec les fameux chiens; de plus ils utilisaient un moyen aussi déloyal, aussi infernal que le premier (deuxième honte) ils avaient simplement créé une deuxième frontière factice à l'intérieur de la véritable avec fils barbelés électrifiés à haute tension, de sorte que l'évadé quand il avait réussi le premier passage par chance alors que dans la joue de la réussite il ne prenait plus de précautions, tombait sur la garde renforcée qui précédait la vraie frontière. J'ai appris plus tard que mon JACOT avec été une des premières victime de cette l'acheté ignominieuse et de ce jour-là j'ai réellement et profondément détesté les BOCHES. Mais direz-vous comment pouvait-il y avoir tant d'évadés circulant en Allemagne avec les appels journaliers de chaque camp ou Kommando qui devait, constatant l'absence, rechercher le coupable? La raison est toute simple et provient d'une astuce des CHEFS qui doit favoriser les évadés. L'appel a lieu chaque jour vers les 18 heures au devant de chaque baraque où les hommes s'alignent sur cinq rangs avec des files de cinq en profondeur. Le Feldwebel de service passe sur le front, compte les files et multiplie par cinq pour avoir l'effectif. On nous avons pris l'habitude de faire placer au Ier et au dernier rang les hommes grands et forts de la baraque de sorte qu'en faisant bien couvrir dans les files on ne peut apercevoir les hommes plus petits masqués devant et derrière par leurs camarades: il faudrait vérifier séparément chaque file. Et nous employons journellement ce procédé d'une file ou deux à quatre hommes seulement, afin de faire cadrer avec l'effectif théorique. Car si le poste central de la Police a des doutes sur l'effectif, il peut ordonner une vérification à fond. Dans ce cas, c'est le tohu-bohu qui commence: chaque occupant doit sortir et installer au dehors sur une couverture tout ce qu'il possède, de sorte que la baraque vide et mise à nu peut être alors vérifiée, palpée et auscultée de toutes les manières: cela rappelle la revue de détail des casernes françaises de si fâcheuse mémoire. Mais cette opération se produit rarement; chaque jour avec les nouveaux venus, les départs en Kommando ou les retours des corvées de ville attardées, etc il est bien difficile d'arriver au chiffre officiel du camp. Il paraît que souvent l'appel donne un chiffre supérieur ce qui à mon avis cache une erreur ? cas contraire.
Voir la suite de son récit (le maire et la population).
Sources
Récit dactylographié et manuscrit communiqué par sa petite-fille Bernadette VERDEIL.